Cette dernière partie du récit finalise le périple de Vélocio depuis Lucerne en Suisse jusqu’à Lyon.
- Journal: Le Cycliste, n° 8, 31 août 1899
- Titre du récit: MONT-BLANC, SUISSE, JURA (1899) 10 cols et 670 kilomètres à bicyclette
- Auteur: Paul de Vivie alias Vélocio
- Source: Archives départementales de la Loire, cote PER1328
Voici la fin du récit de Vélocio:
« Si nous nous plaignons souvent avec raison en France des retards du chemin de fer, en Suisse il n’en va pas de même et l’on part avec une exactitude désespérante. Aussi avons-nous à peine le temps de manger une saucisse et de boire encore un verre de bière dans une auberge près de l’embarcadère avant de nous précipiter dans le bateau qui démarre illico. Cette double dérogation à mes principes végétariens froissa mon estomac qui me fit comprendre qu’il serait sage de ne pas recommencer. On nous fit payer pour cette traversée de deux heures 2 fr. 70 par personne et 1 fr. 20 par bicyclette ! Je commence à comprendre qu’il y ait peu de cyclistes dans ce pays ; de Martigny à Brieg nous avons dû payer environ 3 fr. pour nos deux machines et dans un petit chemin de fer qui fait le trajet entre le lac de Brienz et la gare d’Interlaken on nous fit payer 40 centimes pour les bicyclettes alors que nous n’avions à payer que 3o centimes pour nous-mêmes. Nous arrivâmes à Lucerne au moment où un violent orage éclatait sur la région même où notre itinéraire devait nous conduire dans la soirée. Encouragés par l’agréable étape que nous avions faite la veille entre 6 et 9 heures du soir, nous comptions bien couvrir avant la nuit une trentaine de kilomètres et coucher entre Sarnen et Kaisersthul en route vers le Brunig. Devant l’orage, il fallut capituler et recourir au grand frère qui nous déposa à 9h. 1/2 à Giswill, hôtel de la gare, où les noces d’argent du curé de l’endroit entretinrent une bruyante gaieté jusqu’au milieu de la nuit.
Le lendemain, 16 août, pluie battante et persistante ; nous reprenons le train jusqu’à Interlaken seulement, dans l’espoir que de l’autre côté de la montagne le temps est meilleur ; il est pire ; nous continuons jusqu’à Berne, nous passons avec de gros soupir de regrets devant les sites entrevus à travers le brouillard de notre quatrième étape, sites très différent de ceux que nous venons de voir mais non moins admirable, et nous voilà à Berne à 1 heure. Nous y retrouvons le soleil mais il ne saurait être question d’aller reprendre à Spiez notre itinéraire ou de revenir à bicyclette de Berne à Genève, 151 kilomètres de routes relativement peu intéressantes ; d’ailleurs le temps est bien lourd et l’orage n’a pas dit son dernier mot. Nous resterons donc en wagon jusqu’à Genève et s’il le faut jusqu’à Lyon puisque nous sommes à la fin de nos vacances. Déroute, fuite, débâcle ! c’est bien mal finir un voyage aussi bien commencé ! A six heures à Genève le ciel paraît décidément rasséréné et je déclare tout net à mon compagnon que je tiens pour nulles et non avenues les 24 heures que nous venons de passer en chemin de fer de Lucerne à Genève et que je vais, reprenant la route à l’heure même où nous aurions dû la reprendre la veille, rentrer à Lyon par le col de la Faucille. Il n’hésite qu’un instant et nous secouons sur le seuil de la gare la poussière du wagon infiniment moins noble que celle de la route. Nous avons le plaisir de rencontrer devant la gare trois jeunes cyclo-touristes stéphanois qui rentrent par le train. On est toujours heureux de serrer la main à des compatriotes surtout lorsqu’on vient de passer quelques jours en pays étranger.
Nous quittons Genève à 6 h. 10 (heure de France) par une très belle route un peu molle encore de la pluie de la journée et montant légèrement ; à Ferney, halte de 15 minutes pour nous lester de pain trempé dans du café ; nous sommes en pays franc d’impôt où le sucre se vend quatre ou cinq sous la livre, aussi ne nous le marchande-t-on pas, et l’on nous en apporte un plein sucrier. Heureux pays qui doit cette franchise à Voltaire dont le rire sardonique nous guette au passage ; sa statue se dresse sur le bord de la route devant une assez grande maison bourgeoise qui fut la sienne et qui, il y a cent ans, pouvait passer pour maison de prince. Nous avions depuis Genève le développement de 6 mètres, nous prenons à Ferney celui de 4m,40 en prévision de quelques montées qu’on nous annonce jusqu’à Gex. Nous apercevons, chemin faisant, le col de la Faucille que nous allons franchir et qui doit son nom à son échancrure caractéristique. L’ombre crépusculaire s’étend sur la campagne et nous cache les détails du paysage.
A Gex commence la montée constante de 11 kilomètres qui doit nous amener à 1.323 mètres au-dessus du niveau de la mer : elle débute par un raidillon devant lequel nous nous empressons de mettre pied à terre, pour appeler à la rescousse nos faibles développements : je ne prends pourtant que 3m.30 et O… 2.80 ; nous enlevons le raidillon en question au grand ébahissement des gens du pays qui s’exclament comme si nous faisions là vraiment un tour de force.
— En voilà qui font la montée des Roches en bécane ! — Ils vont casser leurs machines ! — et d’autres remarques ejusdem farinae nous prouvent que jamais cyclistes de ce pays n’ont gravi la montée des Roches qui ne vaut pourtant pas les 11 % du col du Cucheron. Si nous n’avions pas été pressés j’aurais mis le premier venu de ces bonshommes étonnés sur ma selle et il aurait fait la montée des Roches aussi bien et peut-être mieux que moi. Ah ! nous épatons les gens à peu de frais et nous n’y avons vraiment pas beaucoup de mérite !
Après ce raidillon qui n’est en somme qu’un raccourci que la route véritable contourne, nous retombons sur celle-ci dont la pente est très raisonnable ; aussi irons-nous à très vive allure jusqu’à la fontaine Napoléon. A mesure que nous nous élevons Genève nous apparaît avec ses milliers de feux ; son lac blanchit sous la clarté blafarde de la lune qui brille par intermittences à travers les nuages vagabonds. Nous nous élevons rapidement en répondant par des « ohé » retentissants à des appels qui nous sont adressés du fond de la vallée. Bien que la température soit fraîche et agréable, à s’élever ainsi à raison de 12 kilomètres à l’heure on finit par avoir chaud et soif ; aussi sommes-nous enchantés d’entendre le bruit de la fontaine Napoléon dont je connaissais, par ouï-dire, l’existence et que j’annonçais depuis un moment à mon compagnon. Elle est placée à un tournant de la route au point précis où la pente devient relativement raide ; je dis relativement bien que dans différents récits de voyage publiés dans Le Cycliste on l’ait qualifiée d’épouvantable ; mais on ne peut certainement pas la comparer à celles de la Furca, du col de Porte et de tant d’autres avec lesquelles nous avons pris contact depuis quatre jours. Je ne juge même pas nécessaire de prendre mon plus bas développement et après avoir bu quelques gorgées de l’excellent breuvage qui sort du rocher, nous remontons en machine, salués par les aboiements du chien de la maison d’en face dont les habitants sont bien heureux d’avoir toute l’année à leur disposition une eau si bonne, si abondante et si froide. Et penser qu’ils boivent peut-être du vin ! ô préjugés indéracinables !
Il est nuit, la lune s’est finalement cachée et nous sommes dans les bois, trois bonnes raisons pour que nous n’y voyons pas très clair et le col commence à nous paraître bien haut et bien loin quand nous sentons tout à coup la montée s’adoucir au point de devenir descente. Victoire ! Nous tenons enfin le gîte et le souper.
Il ne faut pas chanter trop fort ; c’est qu’il y a aussi des pensionnaires au col de la Faucille et ce n’est qu’en insistant que nous obtenons une chambrette exiguë et un lit de fer supplémentaire quant au souper il est convenable vu l’heure tardive de notre arrivée ; il est 8H40 et il nous a fallu une heure et quart pour monter de Gex à la Faucille sans autre arrêt que les cinq minute consacrées à la fontaine Napoléon.
Le lendemain 17 août je suis sur pied dès 4 heures 1/2 et pendant que O… se décide à sortir à son tour des bras de Morphée, j’escalade la montagne qui est facile d’accès et propice aux promenades de famille, je pousse ensuite jusqu’au Belvédère ; tout cela inutilement ; il bruine et la plaine disparaît sous la brume. Déjeuner copieux, après lequel à 6 heures précises nous partons pour Châtillon-de-Michaille où, je m’en réjouis d’avance, je vais serrer la main du bon docteur Julliard.
C’est au tour des grands développements et du frein spécial à entrer en lice : la descente jusqu’à Mijoux est raide et par quelques-uns de ses lacet nous rappelle le Trou-d’Uri ; le sol est également très mauvais. Ce ne sont pas des raisons suffisantes pour que nous nous départions de nos habitudes et nous filons, dans un fauteuil, les pieds au repos, comme nous avons filé après la Furca, après la Forclaz, après tous les cols traversés. Tout au plus, suis-je obligé à quelques passages, d’appuyer le bout du pied sur le pneu d’avant ; à ce faire on use bien un peu ses semelles mais on se fatigue moins qu’à serrer le levier du frein et je le répéterai à satiété, le secret des longues étapes franchies sans fatigue en pays accidenté est tout là : se reposer complètement pendant les descentes. M. Perrache, dont la pratique en cette matière fait autorité, me le confirmait ces jours-ci. Quand je dégringole, me disait-il, de 2.000 mètres d’altitude par exemple du Galibier sur Saint-Michel-de Maurienne dans ma journée en contrepédalant, j’ai les jambes rompues pour le lendemain.
Donc qu’il soit bien entendu qu’il est absurde de se fatiguer à la descente.
A Mijoux la pente devient très modérée, trop modérée même puisqu’elle nous oblige souvent à pédaler et que parfois elle se transforme en montée. Il pleut de temps en temps et le temps est naturellement très sombre ; malgré cela le paysage nous paraît très champêtre, très pastoral nous traversons une région encore peu pénétré par le cosmopolitisme et l’on y doit retrouvé aisément les mœurs et les coutumes ancestrales.
Il y a ça et là de jolis points de vue et des bizarreries remarquables de la nature, nous plongeons par exemple tout à coup par une pente très accentuée dans un grand trou bordé à gauche par une paroi rocheuse extrêmement élevée et presque lisse. Ce trou a dû être un lac autrefois ; nous voyons cela, en passant, très vite ; il conviendrait de s’arrêter, mais si nous nous étions arrêtés partout où nous en eûmes l’envie, nous serions encore dans le massif de la Grande Chartreuse !
A Chizery, halte sur le pont jeté sur la Valserine ; nous rentrons en France, le pays le plus chargé d’impôts et de droits de toute nature et l’inévitable douanier nous guette au passage. Les plombs dont nos machines sont munies lui suffisent et notre qualité de T. C. fïstes nous vaut de n’avoir pas à déficeler nos paquets. Le Touring Club de France voilà ce qu’on peut appeler un véritable bienfait national, voire international ! Passé Chizery la descente se mue en montée et nous baissons d’un cran nos développements : 4m,40 au lieu de 6m ».04 ; nous montons parallèlement à la route qui sur la rive gauche de la Valserine va directement à Bellegarde ; après quelques kilomètres de montée, la descente, puis une remontée et enfin une longue descente jusqu’à la route de Nantua ; le sol malheureusement est détrempé et nous devons marcher avec beaucoup de précautions pour échapper aux funestes effets du glissement latéral ; pour cette fois nous sommes contraints de garder les pieds sur les pédales.
Nous avons traversé deux villages ou hameaux et vu de loin le clocher de Châtillon où, à vol d’oiseau, nous aurions pu nous poser en quelques minutes tandis qu’il nous faut aller faire un détour de plusieurs kilomètres. Quand aurons-nous des ailes au lieu de roues et pratiquerons-nous l’aviation au lieu de la cyclitation ? A Châtillon, nous avons la bonne fortune de rencontrer non pas le docteur niais une souriante jeune fille, mademoiselle Julliard, qui nous apprend que son père est ce jour-là à son cabinet de Bellegarde.
En route donc pour Bellegarde où je surprends mon excellent ami au milieu de ses malades. Il nous accueille avec l’enthousiasme presque méridional qui le caractérise et nous échangeons nos impressions car le docteur a fait, lui aussi, cette année en Suisse un beau voyage que Le Cycliste publiera incessamment. Mais l’heure est mal choisie, car les malades attendent et nous devons laisser le médecin à son noble devoir.
En remontant à Châtillon un éclat de bois ne s’enfonce-t-il pas dans mon pneu d’avant en m’y faisant deux énormes trous ? Pied à terre et réparation ; pendant cette opération passe un cycliste lyonnais qui revient de Genève, à qui la solitude pèse et qui nous demande à continuer sa route avec nous ; pour le moment il est furieux contre les douaniers qui viennent de le dépouiller d’une boîte de cigare.
Je ne m’attarderai pas à décrire la route si connue de Bellegarde à Lyon, mais elle vaut vraiment la peine d’être vue, et je la referai volontiers tous les ans ; Nantua et Cerdon en sont les points particulièrement intéressants.
A midi nous déjeunons à Port, au bout du lac de Nantua, dans une modèle auberge sur le bord de la route : très bonne cuisine et prix modérés. A la montée de la Balme le Lyonnais trop multiplié (6m,60) est forcé de pousser sa machine ; il avait jusqu’à ce moment tenu la tête et pédaler à quelques centaines de mètres en avant de nous, nous lui prenons alors quelque avance et en arrivant à la bifurcation de la nouvelle et de l’ancienne route de Cerdon, au commencement de la descente, nous prenons notre grand développement. Ce sera maintenant à notre tour de tenir la tête et nous arrivons à Poncin à toute vitesse. Le vent nous étant favorable, je conseille à O… d’essayer son très grand développement de 8m,20 qui me semble utilisable en cette circonstance. Le conseil était bon pour mon compagnon mauvais pour le cycliste lyonnais et pour moi ; sitôt, en effet, que O… se fût familiarisé avec ce développement, il prit graduellement de l’avance, et nous partîmes à sa poursuite en pédalant comme des enragés ; je lâchai à mon tour notre compagnon et finis par rattraper O… à l’entrée d’Ambérieu où il nous était parfaitement inutile d’aller puisqu’il fallut redescendre par un angle droit sur la gare où nous voulions consulter l’horaire des trains se dirigeant sur Lyon. Le cycliste lyonnais qui le matin paraissait se demander si nous parviendrions jamais à le suivre n’arriva qu’un bon quart d’heure plus tard, harassé et résolu à rentrer par le P.-L.-M.
Quant à nous, stimulés par la course que nous venions de fournir, encouragés par la persistance du vent favorable, nous décidâmes de revenir par la route et l’on verra par le tableau démarche ci-après que nous n’étions guère éprouvés par les quatre jours de voyage précédents et que le même homme qui avait pu grimper à la Furca avec 2m,80 pouvait aussi, sans plus de peine, avec 8m,20 marcher en plaine à 25 et 30 kilomètres à l’heure. Dans le dernier cas son effort sur la pédale et son travail par seconde étaient même moindres que dans le premier cas et il aurait pu les maintenir pendant un temps plus long.
Quand donc une vérité aussi simple entrera-t-elle dans l’esprit de tous les cyclotouristes ?
O… rentre à Saint-Etienne par un train du soir ; je m’arrêtai à Lyon et ne réintégrai que le lendemain par la route les bureaux du Cycliste afin de bien me pénétrer de cette vérité que je n’étais pas fatigué par mon voyage.
Dans le tableau de marche suivant, j’ai résumé sous la forme la plus brève les indications qui pourraient être utiles. J’ai noté les distances et les altitudes au moyen des guides et des cartes que j’avais à ma disposition et s’il est possible que quelques erreurs de détail se soient glissées dans mes chiffres, elles ne peuvent être que de peu d’importance et s’annulent mutuellement. »

Quel pourrait être le parcours équivalent de nos jours, avec les infrastructures actuelles?
📍 Départ : Lyon en train pour éviter la circulation dense entre Lyon et les montagnes.
🚆 Train Lyon → Annecy
🚴 Vélo Annecy → Chamonix (via le Col des Aravis) → Col de la Forclaz → Martigny

🚆 Train Martigny → Oberwald (via le train du Mont-Blanc Express + Matterhorn Gotthard Bahn, évite la Furka en tunnel)
📍 Glacier du Rhône (Oberwald – Furkapass)
🚴 Vélo Oberwald → Furkapass → Andermatt → Fluëlen


⛴ Bateau Fluëlen →Lucerne
🚆 Train Luzern → Interlaken (GoldenPass Express, superbe parcours panoramique)
🚴 Vélo Interlaken → Montreux

🚆 Train Montreux → Genève
🚴 Vélo Genève → Lyon

L’itinéraire empruntant uniquement les routes bitumées, il sera facile de trouver des logements pour passer la nuit en gite ou hôtel. Les sacoches peuvent donc être assez minimalistes avec uniquement des vêtements de change. Les points d’eaux et d’approvisionnement ne manqueront pas.
Il est également possible de bivouaquer ou dormir en camping mais les sacoches devront être adaptées pour embarquer une tente, matelas et sac de couchage.
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